La fermeture de certaines zones de pêche ordonnée par l'État

La fermeture de certaines zones de pêche ordonnée par l'État

La fermeture de certaines zones de pêche ordonnée par l'État

Par une décision du 20 mars 2023 (n°449788), le Conseil d’Etat a enjoint à l’Etat de prendre

des mesures de fermetures spatiales et temporelles appropriées de certaines zones de pêche dans le

golfe de Gascogne.

Cette décision s’inscrit dans un objectif de réduction de la mortalité des petits cétacés,

menacés d’extinction. Cet arrêt, intéressant de par sa portée et son retentissement, intervient dans

un contexte qu’il convient de rappeler.

I- L’existence réelle d’une menace d’extinction des petits cétacés

Les chiffres relatant le nombre total d’échouages de dauphins attestent de l’ampleur de la

menace qui pèse sur les petits cétacés.

Selon les données de l’observatoire Pelagis, un observatoire des mammifères et oiseaux marins basé

à la Rochelle, aucun échouage de dauphins n’était déploré en 1970 alors que depuis 2013, les

cadavres de plus de 5 000 dauphins ont été décomptés. Rien qu’en 2020, pas moins de 1 762

dauphins ont été retrouvés échoués sur la côte atlantique.

Encore plus récemment, entre le 10 mars et le 17 mars 2023, l’Observatoire a recensé 420 échouages

de petits cétacés, principalement en Nouvelle-Aquitaine.

Parmi les dix espèces de dauphins menacées d’extinction figure le dauphin commun à bec court,

répertorié comme « En danger d’extinction » depuis de 2003. Or c’est précisément cette espèce qui,

selon les données l’Observatoire Pelagis, comptabilise le plus d’échouages.

Bien avant le réchauffement climatique et la pollution, la principale raison de cette mortalité est liée

aux accidents de prise de pêche. Les dauphins, coincés dans les filets, sont ainsi empêchés de

remonter à la surface pour respirer, provoquant leur asphyxie. Ils s’échouent ensuite sur les côtes.

Devant l’ampleur de ce phénomène, de nombreuses associations de protection de l’environnement

ont fait de la préservation des cétacés un véritable combat. Plusieurs opérations dites « coups de

poing » sont régulièrement organisées. A titre d’illustration, le 22 février 2023, la Ligue pour la

protection des oiseaux installait 400 photos de dauphins sur l’esplanade des Invalides à Paris.

Aux côtés des associations et des organisations non gouvernementales, la Commission européenne

s’est également lancée dans cette lutte.

II- Un combat mené au niveau européen

Plusieurs mesures ont été prises au niveau européen, afin de réduire la mortalité des dauphins.

Un accord relatif au programme international pour la conservation des dauphins (JO L 348) est

d’abord entré en vigueur le 22 décembre 2005. Ce dernier vise à réduire la mortalité des dauphins

liée à la pêche au thon en fixant, notamment, une limite annuelle de 5 000 dauphins par an. Elle

encourage également la recherche de moyens plus écologiques pour pêcher le thon tout en

épargnant les dauphins.

En juillet 2020, la Commission européenne a précisément adressé une lettre de mise en demeure à la

France afin d’empêcher les prises accessoires de dauphins et d’autres espèces protégées.

Deux ans plus tard, en juillet 2022, la Commission européenne n’a pas jugé la réponse de l’Etat

français à la hauteur de ses attentes, la menaçant de saisir de saisir le Cour de justice de l’Union

européenne.

Plus récemment encore, le 21 février 2023, la Commission européenne a présenté un ensemble de

mesures visant à améliorer la durabilité et la résilience du secteur de la pêche et de l’aquaculture de

l’UE. Parmi ces mesures, la Commission a proposé à l’Etat de prendre des mesures visant non

seulement à interdire la pêche de fond mobile dans toutes les zones marines protégées

nouvellement établies, mais également à l’interdire d’ici 2030 dans toutes les zones marines

protégées déjà existantes.

C’est dans ce contexte de pression européenne que le Conseil d’Etat a eu à se prononcer sur cette

question.

III- La décision du Conseil d’Etat du 20 mars 2023

Désireux de lutter contre le taux de mortalité excessive des dauphins, plusieurs associations de

défense de l’environnement ont saisi le Conseil d’Etat afin d’obtenir l’adoption par l’Etat français de

mesures efficaces.

Le Conseil d’Etat a ainsi été saisi par trois associations : L’association Défense des milieux aquatiques,

l’Association France Nature environnement et Sea Shepherd.

Il ressort de la décision du Conseil d’Etat que l'association Défense des milieux aquatiques demandait

l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 24 décembre 2020 de la ministre de la mer

modifiant l'arrêté du 17 janvier 2019 relatif au régime national de gestion pour la pêche

professionnelle de bar européen (Dicentrarchus labrax) dans le golfe de Gascogne. L’argument de

l’association était de dire qu'il ne comporte pas de mesures suffisantes pour réduire au minimum les

incidences négatives de la pêche au bar sur la population des bars juvéniles, d'une part, et sur la

population de petits cétacés, d'autre part, et d'enjoindre à l'Etat de prendre des mesures

complémentaires en ce sens.

Les associations France Nature Environnement et Sea Shepherd France demandaient, pour leur part,

l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé par la ministre de la mer à leur demande tendant

à prendre des mesures complémentaires de nature à réduire au minimum les captures accidentelles

de petits cétacés à l'occasion des activités de pêche menées dans le golfe de Gascogne. Les

associations avançaient qu'elles mettent en danger la conservation de trois espèces protégées de

petits cétacés, le dauphin commun (Delphinus delphis), le grand dauphin (Tursiops truncatus) et le

marsouin commun (Phocoena phocoena). La demande visait précisément à obtenir du Conseil d’Etat

qu’il enjoigne à l'Etat de prendre l'ensemble des mesures permettant d'assurer la conservation de

ces espèces, notamment en procédant à la fermeture des pêcheries françaises concernées pendant

une période pouvant aller jusqu'à trois mois l'hiver et un mois l'été, et le renforcement de la

surveillance en mer de ces pêcheries.

Ainsi, dans sa décision du 20 mars 2020, le Conseil d’Etat :

- Fait droit à la demande de l’association Défense des milieux aquatiques et annule l’arrêté du

24 décembre 2020 « en tant qu'il ne prévoit pas de mesures suffisantes de nature à réduire

les incidences de la pêche au bar dans le golfe de Gascogne sur les petits cétacés. »

- Fait droit à la demande des associations France nature Environnement et Sea Shepherd

France et annule « Les décisions par lesquelles la ministre de la mer a refusé de prendre,

d'une part, des mesures de protection complémentaires de nature à réduire les captures accidentelles de petits cétacés relevant d'espèces protégées dans le golfe de Gascogne et,

d'autre part, des mesures complémentaires de nature à garantir l'efficacité du système de

contrôle des captures et mises à mort accidentelles des mêmes espèces »

- Enjoint à l’Etat de prendre, dans un délai de 6 mois, des mesures complémentaires aux

mesures déjà engagées, notamment de prendre des mesures de fermetures spatiales et

temporelles de la pêche appropriées.

- Enjoint à l’Etat de mettre en œuvre, dans un délai de six mois à compter de la notification de

la présente décision, des mesures complémentaires permettant d'estimer de manière fiable

le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le

renforcement du dispositif d'observation en mer, et de disposer d'éléments suffisamment

précis pour définir et évaluer les mesures de conservation nécessaires pour assurer que ces

captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur ces

espèces.

L’argument principal du Conseil d’Etat était que les différentes mesures d’ores et déjà mises en

place, telle que l’obligation faite aux pêcheurs d’équiper leurs bateaux de dispositifs de dissuasion

acoustique, ne sont pas suffisantes pour assurer la survie de l’espèce.

Le Conseil d’Etat rend sa décision au visa aussi bien de normes européennes telles que le traité sur le

fonctionnement de l'Union européenne, l'accord sur la conservation des petits cétacés de la mer

Baltique, de l' ; Atlantique du Nord, des mers d'Irlande et du Nord, fait à New York le 17 mars 1992, et des règlements et directives européennes, que sur des normes françaises comme la Constitution, le code de l'environnement, le code rural et de la pêche maritime et le code de justice administrative. Il est ainsi possible d’en déduire la volonté du Conseil d’Etat que l’Etat français se mette en conformité aux attentes européennes.

Il s’agit de la première fois que le Conseil d’Etat prend une décision si radicale.

Toutefois, si cette solution a donné satisfaction aux associations de protection de l’environnement,

elle est plus difficile à accepter pour les pêcheurs. Olivier Le Nezet, président du Comité national des

pêches maritimes et des élevages marins a d’ailleurs adressé à Emmanuel Macron une lettre ouverte

faisant part de la colère des pêcheurs : « Les pêcheurs ne sont pas là pour pêcher les dauphins, il faut

arrêter de nous pointer du doigts comme des criminels. On parle plus de ça que de la souveraineté

alimentaire… Le vrai sujet dont on a besoin, c’est d’être accompagnés, et de déterminer des solutions

techniques qui n’empêchent pas notre activité. ».

Une journée entière de mobilisation a également eu lieu le jeudi 30 mars. Un appel à la grève a été

lancé, et plusieurs ports français ont été mis à l’arrêt afin de faire entendre la colère des pêcheurs.

La difficulté, et non des moindres, est donc de concilier à la fois la sauvegarde d’une espèce en voie

de disparition, et l’intérêt des pêcheurs. Le Conseil d’Etat a tranché.


Actus Me Claude RIGOREAU - Cabinet Clairance Avocats | 2023/04/04 |

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